Novembre 2019 : Rencontre avec Fanny Embleg
Novembre est l’occasion de revenir sur une rencontre organisée lors d’une permanence. Fanny Embleg, de son nom d’auteure, est en cours de transition pour vivre pleinement son identité de femme. Elle raconte son parcours dans un livre témoignage qui vient de paraître aux éditions Book Envol, sous le titre Le sexe des anges, Ou une femme dans un corps d’homme. Fanny a bien voulu répondre à quelques questions pour cet édito de Diversités Pastel.
Fanny, bonjour, et merci pour l’intérêt porté à l’association LGBTQI+ du Tarn. Nous aurions aimé savoir, tout d’abord, ce qui vous a poussé à médiatiser votre parcours ? Et pourquoi avoir choisi le support de l’écriture ?
Ayant vécu un long parcours caché dans un corps d’homme, il m’a semblée utile de parler des difficultés rencontrées par les « transgenres » (ou « transsexuels »), donc ce n’est pas tant mon parcours, celui de Fanny, que j’ai tenu à médiatiser, mais le parcours toujours très compliqué que suivent (ou poursuivent) les « trans ». Ayant eu la chance de faire des études et d’avoir été animateur socio-culturel (en fonction de directeur de centre social), j’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres personnes en difficulté identitaire. C’est presque devenu pour moi un devoir d’utiliser mon parcours, pour tenter d’expliquer que nous sommes des personnes comme les autres et devons être reconnues et acceptées comme telles.
La transidentité reste un sujet tabou et l’accès au droit ou ne serait-ce qu’à la parole reste marginal pour les personnes concernées. Comment expliquez-vous que le combat soit encore aussi long pour avoir le droit d’exister et d’être soi ?
Comme beaucoup d’autres, je ne l’explique pas, et en reste scandalisée. Mais, hélas, n’oublions pas que nous vivons dans une société binaire (dans le sens arithmétique du terme) : il y a le + et le -, le bien et le mal, le masculin et le féminin…… et tout se réfère à des normes sociétales, mais qu’est-ce que ladite normalité ? Je n’en sais rien et me refuse à accepter ces normalités qui induisent inévitablement des différences, donc des gens repoussés (voire rejetés).
Je ne veux pas non plus trop intellectualiser mon propos, mais il est évident que c’est à tout un chacun d’accepter l’autre tel qu’il est ; on rentre dans le concept de l’altérité. C’est pour moi la somme de ces altérités qui doit nous amener à une société tolérante pour tous. NON ce n’est pas de l’utopie. J’ai eu la chance de vivre ce style de relations humaines dans une communauté de vie (très en vogue à la fin de années 1960 et début des années 1970). Alors, à mon niveau, je me dois de faire perdurer cet esprit de tolérance.
Vous vivez dans une grande ville, Toulouse. Diversités Pastel œuvre dans un secteur plus rural, le Tarn. Comment percevez-vous l’étendue des difficultés pour une personne trans dans une ville moyenne ou à la campagne ?
Je vis, de fait, dans une grande ville, Toulouse, mais cette agglomération est faite de quartiers totalement différents. Je vis plus, quartier St Michel, qu’à Toulouse et c’est une petite commune en soi. Et je retrouve exacerbée parfois la difficulté que j’ai rencontrée en Maurienne (Savoie), canton de la Chambre ; là-bas, je vivais cachée à cause du “quand dira-t-on ”, mais sortais de temps en temps en Fanny. Étonnement pour moi, une fois expliquée ma situation, j’étais acceptée (ou totalement rejetée, dans des termes peu avenant). Je pense, mais ce n’est que ma vision, qu’une personne trans est plus isolée en milieu rural, que dans une grande commune, d’où l’importance du secteur associatif, comme Diversités Pastel sur Albi. Un(e) trans a, comme tous(tes), besoin de parler et d’avoir un début de réponse à ses questionnements. La vision d’un Psy n’est pas suffisante, et si je peux me permettre un conseil, essayez d’être suivi par un Psy comportementaliste plus que par un Analyste (avis totalement personnel, je ne suis ni psy, ni médecin.)
Nous sommes quelques jours avant votre opération et votre changement d’identité, y compris administrativement, comment vivez-vous ces moments ?
Très difficile de répondre à cette question. Nous sommes le 15 octobre, je suis à une semaine de mon opération. Après, je serai donc une femme dans un corps de femme (certes femme transgenre et pas femme cisgenre, puisqu’il faut compartimenter), moment tant attendu pour moi. « J’ai perdu beaucoup de temps, j’en suis consciente. Je vais vivre les prochaines années en accord avec moi-même ». Pour être plus claire, je suis aujourd’hui sereine, « tout vient à point à qui sait attendre » (Jean de La Fontaine). Par chance, je suis très soutenue par mes amies proches, surtout une, qui me connaît depuis plus de 10 ans et qui m’a beaucoup aidée dans ma transformation puis ma transition. Elle sera présente à mon réveil. Je termine Le sexe des Anges (édité chez Book Envol, Nantes) par ces mots, le 22 octobre sera :
« Le premier jour du reste de ma vie »
Pour ce qui est de mon changement officiel d’identité et de genre, il sera statué en audience privée début décembre par le Procureur de la République. Là, il ne fera qu’entériner une situation existante pour moi. Suivra un long parcours pour ce changement d’identité et de genre sur mon état civil, puis sur mes comptes bancaires, puis aux impôts, à la CAF, la CPAM…. Mais le principal sera fait.
Je suis déjà en train d’écrire un témoignage Fanny devenue femme, qui relatera mon parcours entre juin 2019 et mars 2020 : ce qui se passe dans ma tête, dans mes démarches, les acceptations par l’autre et aussi, bien entendu, dans mon corps.
Entretien réalisé mi-octobre 2019